Dès l’école primaire, le faible niveau de nos jeunes en maths classe la France en dernier de tous les pays développés. C’est ce que montre l’enquête TIMSS qui teste plusieurs milliers d’enfants dans chaque pays, tous les quatre ans. Encore confirmée par la dernière, publiée en décembre 2024.
A l’opposé, les pays qui arrivent en tête du classement, loin devant tous les autres, sont les pays d’Asie de l’est (Taiwan, Japon, Corée, Hong Kong, Singapour).
Or, ce que ces pays ont en commun et les distingue de tous les autres, c’est leur langage des nombres parfaitement régulier.
Le langage régulier consiste d’abord à compter au-delà de dix en disant « dix-un », « dix-deux », etc., et après dix-neuf dire « deux-dix », « deux-dix-un », etc. Et ainsi de suite pour les dizaines suivantes. C’est-à-dire en appliquant les règles universelles du système décimal, que nous n’appliquons Français qu’au-delà de cent (nous disons bien cent-un, cent-deux, deux-cent, deux-cent-un, trois-mille quatre-cent dix, etc.).
Dans les pays qui pratiquent le langage régulier, les enfants savent compter jusqu’à cent dès leurs 4 ans, et acquièrent très vite le calcul mental en jouant avec les mots (dix-deux plus dix-cinq = deux-dix-sept, etc., c’est simple).
En Français, dire onze au lieu de dix-un, et vingt au lieu de deux-dix empêche les enfants d’assimiler le système décimal et de mettre les bons mots sur les quantités qu’on compte. Et puis nos incroyables soixante-dix, quatre-vingt, quatre-vingt-dix ! Apprendre à compter est un parcours d’obstacles. Avec ce langage incohérent, nos enfants ne savent compter jusqu’à cent que vers 6 ans.
Et surtout, ils n’ont pas les bons mots pour le calcul mental, ni la compréhension profonde du système décimal qui consiste à ranger les quantités par rangées de dix, puis reprendre la série de un à dix sur la nouvelle rangée, etc.
A cause de cette défaillance des mots du langage, on enseigne les nombres au moyen des chiffres. Ce recours aux chiffres écrits génère une déconnexion entre les noms des chiffres et les quantités tangibles. Les nombres-chiffres sont perçus comme des caractères (comme pour la lecture) dont on connait le nom mais pas le sens, et qu’on lit sans visualiser ce qu’ils représentent concrètement.
Les mots sont ainsi éjectés des mathématiques, qui deviennent un langage écrit symbolique et abstrait, déconnecté de la réalité. Des procédures à apprendre, sans comprendre à quoi elles correspondent.
Ce mauvais départ a des conséquences considérables sur la suite.
Ce mauvais départ n’est pas un « retard » de deux ans qu’on puisse rattraper. Il provoque une confusion extrême dans l’esprit des enfants, une mécompréhension qui ne sera jamais rétablie.
L’apprentissage des notions suivantes est profondément perturbé : les fractions et les expressions décimales à virgule restent non-assimilées par la moitié des élèves à l’entrée en sixième, et encore par un tiers des élèves à la sortie du collège.
Les maths deviennent ainsi une matière difficile et abstraite, où seuls les plus favorisés peuvent réussir, ce qui perpétue les inégalités scolaires.
Elles sont vécues comme un ensemble de symboles, de définitions et de règles à apprendre par cœur, au lieu d’être le langage (parlé) qui permet de formaliser et comprendre les réalités du monde tangible qui nous entoure.
Dès le début, notre pédagogie est essentiellement consacrée à surmonter les incohérences du langage. Cette pédagogie palliative est une perte de temps et d’énergie considérable, qui ne parvient jamais à compenser les effets du langage inapproprié. Même nos meilleurs élèves du primaire seraient classés comme étant de niveau moyen à Taiwan, en Corée ou au Japon.
Nos enseignants ignorent que toutes ces difficultés viennent du langage terriblement irrégulier et abscons qu’ils doivent utiliser. De plus, ayant eux-mêmes suivi ce parcours, il leur manque souvent la compréhension profonde des notions qu’ils enseignent.
Cette pédagogie palliative aveugle est sujette à des modes contradictoires, une inflation de méthodes et d’aides internet incontrôlables, et des réformes officielles qui se succèdent sans succès.
Dans ce contexte, de nombreux élèves décrochent, souvent dès le CP. Soit visiblement (classés mauvais en maths, et rebutés), soit de façon cachée (bien apprendre pour réciter et appliquer sans comprendre). Ces décrochages ne seront jamais rattrapés. L’écart avec les pays d’Asie de l’est ne fait que s’accroitre au collège, comme le montre TIMSS.
C’est tout notre système éducatif qui est ainsi miné par notre handicap linguistique.
Dans les pays « réguliers » les adultes et les enseignants ont bien assimilé les bases et peuvent les transmettre. Les maths du primaire sont vécues comme faciles (ce qu’elles sont !), la réussite est la norme, le niveau d’exigence des parents est élevé (10/10). La moindre faiblesse d’un enfant est un souci qu’il faut traiter ensemble, parents et enseignants. Le langage utilisé est clair, les élèves écoutent le maitre avec attention. Les notions sont enseignées en suivant un curriculum adapté à la progression des enfants, notion après notion, sans retour en arrière. Tout le système est fondé sur une culture de la réussite vécue comme normale.
Dans les pays « irréguliers » les adultes et les enseignants ont suivi le cursus irrégulier, et retransmettent ce qu’ils ont (mal) appris. Les maths du primaire sont vécues comme difficiles, la réussite est l’exception, le niveau d’exigence des parents est moyen (5/10). Le langage utilisé est confus et abscons, les élèves ont du mal à suivre, ça pose des problèmes de discipline. Les notions sont enseignées en reprenant chaque année les notions précédentes, jusqu’au collège où elles doivent être encore reprises. Tout le système est fondé sur une culture de la réussite vécue comme un exploit.
Au final, à la sortie du collège, la moitié des élèves d’Asie de l’est sont meilleurs que nos meilleurs élèves. Le point commun de tous ces pays d’Asie : la régularité de leur langage, selon le modèle chinois, à commencer par celui des nombres, puis de toutes les mathématiques.
Tous les pays occidentaux, pour des raisons historiques, ont un langage des nombres plus ou moins irrégulier. Celui du Français étant, de loin, le plus irrégulier de tous. Et, comme par hasard, les résultats TIMSS et PISA de chaque pays correspondent en premier lieu au degré d’irrégularité de son langage des nombres, et en deuxième lieu à son niveau de développement économique. Le facteur pédagogique n’intervenant qu’en troisième position, avec des effets toujours limités.
Cette situation semble bloquée, sauf à réparer la racine du mal : notre langage irrégulier des nombres, impropre à l’enseignement des mathématiques.
La seule solution durable : adopter le langage régulier à l’école en France.
Or, l’adoption du langage régulier à l’école n’est pas une vue de l’esprit, elle est tout à fait faisable. Avec nos mots actuels. Quelques semaines de pratique permettent de s’y accoutumer, et d’en tirer tous les bénéfices pédagogiques dès la maternelle. Pas de plan de formation grandiose à prévoir, ce sont nos contorsions pédagogiques actuelles qui seront supprimées !
Remettre de l’ordre et de la logique dans l’esprit de nos jeunes, leur faire gagner deux ans dès le début de l’école, éviter les décrochages précoces, fonder les apprentissages sur des mots dont le sens concret est clair, faire des maths un langage bien connecté aux réalités tangibles, tout cela se propagera naturellement dans tout le système éducatif, comme c’est déjà le cas dans les pays de langage régulier.
Avons-nous une autre alternative ? Pourquoi continuer d’en faire toujours plus, sans résultat significatif à l’horizon ? Alors qu’on peut, alors qu’on doit faire autrement.
Notre langage irrégulier si handicapant n’est pas une fatalité : il suffit d’un décret pour supprimer définitivement ce handicap, et redonner à nos jeunes et à notre pays toutes leurs chances.
Alors pourquoi ne pas le faire ? C’est une décision politique que nous pouvons prendre en toute souveraineté, et qui montrera l’exemple aux autres pays touchés par la maladie de l’irrégularité du langage.
C’est possible, c’est nécessaire, alors, avec votre aide, faisons le !
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